Daniel Granval et Olivier Joos « Les cinémas du Nord – Pas de Calais » Ed. Club Cinéma de Merville
Daniel Granval « Les cinémas de Cambrai » (à paraître).
Au début de l’année 1909, la quadruple exécution capitale de la bande des frères Pollet a été filmée clandestinement à Béthune. Le ministre de la Justice s’en inquiéta et chercha le moyen d’interdire les projections de ce film. La censure au théâtre ne fonctionnait plus depuis 1906. Il considéra donc, que les projections de films faisaient partie des « spectacles de curiosité ». Après tout, ne les passait-on pas dans les foires ? L’autorisation de ces spectacles était soumise à une autorisation municipale. Par le biais de son collègue de l’Intérieur, il fit intervenir les préfets auprès des municipalités pour interdire ces projections. C’est donc la circulaire du 11 janvier 1909 qui fut le premier texte officiel de la censure cinématographique.
Jusqu’à présent, c’était les pouvoirs locaux qui jugeaient de l’opportunité d’interdire un film ou pas. Une commission d’examen et de contrôle cinématographique nationale est créée par un arrêté de juin 1916. Un décret de juillet 1919 généralise le système de contrôle des films. En 1928 sera créée la commission de contrôle telle qu’elle existe encore actuellement. Cette commission paritaire est composée de fonctionnaires et de représentants de la profession. Elle délivre les visas d’exploitation.
Mais comme nous le verrons dans cet article, la censure n’est pas toujours officielle. Tout au long de l’histoire du cinéma, il y a eu des citoyens pour s’insurger contre certains films et pour défendre la morale.
En février 1913 le Royal Biograph Locomobile était de passage à Houlle. Dans son programme il y avait un film qui ne plaisait pas au maire de la commune « le terrible Bonnot ». Celui-ci fit intervenir les gendarmes pour interdire cette projection. Monsieur Loth, le directeur du cinématographe persista à présenter son programme dans le village. Le maire envoya un courrier au sous-préfet pour se plaindre. Il proposait d’enlever les autorisations aux ambulants qui donnaient des spectacles de ce genre et de saisir, s’il le fallait, leur matériel, leur roulotte et leur cheval. Il faisait valoir, que Houlle avait eu droit au passage de la bande à Pollet, et il craignait qu’un tel film ne développe auprès des spectateurs des idées criminelles. Le maire se plaignait également que le cinéma ambulant s’était arrêté dans la commune sans son autorisation. Il envoya le garde champêtre, un homme relativement âgé qui se fit rembarrer par le forain, et surtout par sa femme. Un habitant du village, le cabaretier Fichaux ne devait pas beaucoup s’entendre avec la municipalité, car, il décida de collaborer avec le forain et lui permit d’organiser ses projections dans son établissement. Le maire le qualifia de mauvais esprit et surtout « d’opposant au régime républicain ».
Le mercredi 12 juin 1918, Le Télégramme du Nord-Pas de Calais invective le responsable de la censure à Boulogne trouvant que celui-ci n’était pas assez sévère. Nous sommes alors en temps de guerre, et le rôle du censeur est alors primordial pour le bon moral tant des troupes que de l’arrière. Le journal lui reproche de « ne pas quitter les banquettes des établissements » et d’exercer ainsi son contrôle de manière laxiste.
Au début du siècle, les responsables des paroisses n’aimaient pas le cinéma et ne se privaient pas de le faire savoir par le biais de leurs bulletins. Les critiques étaient essentiellement orientées sur le mauvais exemple donné par le cinéma à la jeunesse. Les films érotiques étaient visibles dans des établissements spécialisés.
Les premières réactions vis-à-vis de l’érotisme sont apparues après la première guerre mondiale. Ainsi, l’Union des chefs de familles nombreuses s’est insurgée contre le film « Séduction » en 1930 à Tourcoing. Ses responsables s’étaient alors adressés au Ministre des Beaux-Arts. Les exploitants s’étaient pourtant montrés conciliants et avaient accepté de « voiler » une scène laissant « supposer » un accouchement. L’association avait alors obtenu le soutien de l’Union Féminine Civique et Sociale et de La Croix du Nord qui accorda une large place dans ses colonnes aux arguments de ces associations. On y fustigeait les entrepreneurs de spectacles qui faisaient preuve selon eux d’ignorance en matière de morale. On y comparait l’obligation faite d’une ordonnance pour obtenir des médicaments dangereux chez le pharmacien et la liberté d’autre part de « distiller dans le cœur de l’adolescence le poison de la débauche ».
Lors de la sortie à Valenciennes du film de Dominique Bernard-Deschamps « le rosier de Madame Husson », l’Union des familles nombreuses et la fédération catholique s’insurgèrent contre cette adaptation d’une nouvelle de Maupassant. Bien que le film ait obtenu un visa, ils réussirent à le faire interdire. Monsieur Choquet, l’exploitant qui le programmait au Colisée fut heurté pour de bon et décida malgré tout de maintenir les projections. Il ne fut condamné qu’à une légère amende, mais le film fut quand même retiré.
Le 16 novembre 1935, trois films licencieux étaient saisis dans une maison de tolérance au 2 de la rue des Casernes à Dunkerque. Celle-ci était tenue par Alice Berthe Brochant épouse Descombes. Un flagrant délit de projection de ces films a été constaté. Les services de police avaient reçu depuis quelques temps des doléances de certains capitaines de navires, de diverses personnes et d’autorités étrangères se plaignant « des spectacles obscènes qui se déroulaient dans cette maison. Les navigateurs y laissaient leurs soldes ou économies et la répercussion à l’étranger où les intéressés ne manquaient pas de vanter ce genre de spectacles n’était pas sans créer une atmosphère fâcheuse pour nos bonnes mœurs ».
« La bête humaine » de Jean Renoir fut probablement l’un des films qui a subi les assauts les plus virulents de la part des « biens pensants ». Ce fut le cas par exemple de la Fédération des Unions de familles nombreuses ( encore eux ) de Roubaix et environs qui était intervenue en 1941 auprès du directeur du cabinet du préfet de région. Cette association se proposait « d’intervenir énergiquement auprès du Secrétariat d’Etat à la santé et à la famille pour demander qu’une censure énergique soit exercée à l’origine et qu’elle rejette impitoyablement des films aussi malfaisants ». C’était pour eux le véritable remède à apporter à cet état de chose. En effet « la bête humaine » avait obtenu un visa de censure en bonne et due forme en contrepartie de quelques coupures. Certains exploitants de la ville de Roubaix avaient accepté à la demande de leur clientèle de ne pas programmer le film. Ce film mobilisait les foudres des puritains. Estimant insuffisant d’avoir alerté les autorités municipales, ils ont cru bon de s’adresser directement au préfet. Ils joignaient à leur courrier, une fiche d’appréciation du film sur laquelle on lisait : « Sombre drame crapuleux et passionnel. L’avoir porté à l’écran est une mauvaise action ». On pouvait lire aussi : « Du roman de Zola, on ne pouvait tirer qu’une œuvre malsaine où l’adultère, la passion sensuelle et le crime tiennent les premiers rôles. Production ignoble. Jurons. Scènes de sensualités bestiales. Le meurtre de Séverine est horrible. Scènes de femme brutalisée par son mari. » Les signataires de ce pamphlet intransigeant étaient MM. Demeyre, Dewaele, Desmet, etc.
Durant l’été 1949, le gouvernement a déposé un projet de loi concernant la réforme de la commission de censure. Il y prévoyait notamment l’interdiction de certains films aux moins de 16 ans, le renforcement de la commission en y incluant des représentants des ministères et des professionnels.
A l’époque, l’association « film et famille » dont le siège se trouvait au n°3 de la rue Saint Genois à Lille, ne se montrait pas satisfait de ces changements. On trouvait dans l’association que l’interdiction aux moins de 16 ans était une publicité qui incitait les jeunes à aller voir ces spectacles. Ils estimaient également que le fait d'être adulte ne permettait pas de tout voir. Ils craignaient aussi que cette mesure ne donne « libre cours à l’imagination perverse de certains scénaristes ou producteurs ». Enfin, ils faisaient apparaître l’évidence que le respect de cette réglementation était incontrôlable dans les salles, en particulier en milieu rural. En ce qui concerne le renforcement de la commission, « film et Famille » s’insurgeait contre le fait qu’elle soit composée de professionnels qui ont des intérêts en jeu, alors qu’elle ne comprenait pas plus de deux personnes représentant « les milieux familiaux ».
A Bray-Dunes l’Abbé Wideau promit toutes les flammes de l’enfer à ses ouailles qui oseraient le sacrilège d’aller voir « trois jeunes filles nues ». Ce sermon eut plutôt pour effet de créer en engouement pour ce film et les plus de 16 ans s’empressèrent d’aller le voir tandis que les plus jeunes tentaient de se faufiler dans la file. A Bray-Dunes, le curé réussissait à attirer les foules au cinéma bien plus qu’à la messe.
La situation fut similaire à Bully-les-Mines. A l’occasion de la sortie de « la jument verte », les bonnes sœurs passaient dans les corons pour inciter les gens à ne pas aller voir ce film. Il n’y a jamais eu autant de monde au cinéma que ce jour là.
Lors du passage de « la grande bouffe », une dame de la bourgeoisie d’Arras scandalisée par le film alla trouver l’exploitant, M. Pierrepont, à la fin de la séance. « Monsieur, si je n’avais pas été au milieu d’un rang, je serais sortie ». L’exploitant ne se laissa pas démonter et lui répondit du tac au tac « madame, vous saviez ce que vous veniez voir, vous êtes venue pour ça ».
En 1970, les exploitants du Variétés d’Aulnoye ont décidé, comme beaucoup d’exploitants à l’époque, de programmer des séances de nuit avec des films érotiques. Le cinéma était à l’époque le seul moyen pour le public de voir ce genre de spectacle et de nombreux spectateurs assistaient à ces séances de nuit qui, par ailleurs ne coûtaient pas cher en location. Le premier film érotique programmé à Aulnoye était « la religieuse de Monza ». L’affiche du film représentait une religieuse nue. Des citoyens froissés par ce « léger » détail firent une pétition auprès du maire communiste, Pierre Briatte. Celui-ci leur répondit : « Cela est un vice capitaliste. Si cela ne vous plaît pas, alors changez de régime politique et laissez le cinéma travailler à sa guise ».
Au Familia de Comines, géré par l’équipe de la paroisse, le cinéma exerçait un auto-contrôle sur les films et éliminait ainsi les scènes dites osées, qui paraîtraient actuellement bien innocentes.
M. le Curé accompagné d’un groupe de plusieurs paroissiens visionnait les films qui arrivaient à Bousbecque en séance privé et demandait d’éventuelles coupures supplémentaires au projectionniste. Un baiser trop long était pour eux répréhensible.
A Haubourdin, un comité paroissial visionnait les films lors de leur arrivée afin de s’assurer qu’ils convenaient au public. Les films de Max Linder et de Rigadin étaient supprimés parce qu’ils montraient des scènes galantes. Certains passages étaient coupés. Les opérateurs, les recollaient consciencieusement après la séance du dimanche. Le clergé de la ville déconseillait vivement aux Haubourdinois de fréquenter le cinéma concurrent. Il s’était entre autre égosillé contre le passage du film « l’amant de la lune »... Lorsque L’abbé Droulers, le responsable de la salle fut muté à Wasquehal, son remplaçant Gabriel Bossut estimait qu’il ne fallait pas recoller les parties censurées pour éviter que « le scandale ne se propage dans d’autres lieux ». Lorsqu’il passa le film de Maurice Tourneur, « l’île des navires perdus » qui comportait des scènes dans les bas fonds de Mexico, il alla jusqu’à en couper 80 m, ce qui représentait environ quatre minutes du film. Parfois, une scène de baiser jugée correcte pour les adultes, ne l’était pas pour le jeune public. L’Abbé Bossut, montait jusqu’au dernier rang des gradins et mettait sa main devant la lucarne du projecteur pour cacher le plan incriminé. Comme ils avaient pour consigne stricte de ne pas recoller les morceaux, les opérateurs gardaient les passages coupés et se confectionnaient leur propre bobine qu’ils visionnaient entre eux en prenant pour prétexte de nettoyer les appareils. La concierge du patronage faisait aussi partie du comité, et veillait au grain. Un jour, elle les surprit en pleine projection illicite. Elle courut prévenir le curé. Celui-ci fonça sur son vélo en direction des délinquants, s’empara de la bobine du « diable » et y mit le feu au milieu de la cour.
En mars 1936, le Capitole à Lille fut contraint de retirer « la Garçonne » par les étudiants de l’université la Catho qui manifestent également par des cris à la projection des actualités. Dans son rapport M. Coquet, le commissaire de police du 4ème arrondissement écrivait : « Je me suis rendu hier soir [13 mars 1936 ] au cinéma « le Capitole », rue de Béthune, pour y assister à la projection du film « la Garçonne ». Une soixantaine d’étudiants des Facultés catholiques avaient pris place en bloc dans la salle. Dès la projection des actualités, il devint évident qu’ils étaient venus pour manifester. Ils conspuèrent copieusement les hommes politiques de gauche tandis que l’apparition de M. Mussolini et même celle du chancelier Hitler étaient saluées d’applaudissements. Dès les premiers mètres de la bande de « la Garçonne », ce fut de la part de ces jeunes gens un vacarme de huées soulignées par les sifflets à roulette. Après quelques minutes d’interruption, la projection reprit dans une demi-obscurité, ce qui permit de voir les perturbateurs à coup sur. »
Parfois, ce n’était pas les films qui étaient censurés, mais les salles. Ainsi, toujours à Lille, l’Omnia était considéré comme le cinéma à soldats. L’Eden, la salle voisine du Familia était surnommée le « baisodrome », tout un programme. La conception de la salle facilitait la tâche aux amoureux. Il était même déconseillé aux « femmes honnêtes » d’y aller seules.
Saint-Pol-sur-Mer a connu un directeur de cinéma énergique réagissant avec force face au puritanisme ambiant. En 1935, certains Saint-Polois, grands défenseurs de la morale reprochaient à l’exploitant du cinéma Le Carnot, Fernand Dewas, la légèreté des scènes de certains films qu’il programmait. Lorsqu’il proposa à l’affiche « Lucrèce Borgia » dans lequel Edwige Feuillère s’effeuille, le comité local des familles bien pensantes exigea de Fernand le retrait de ce film « démoniaque ». Il refusa catégoriquement. Le président du comité créa une émeute lors de la première projection en essayant d’empêcher les spectateurs d’entrer. Fernand à bout de patience traversa le hall à la manière de Don Camillo, les poings serrés, et c’est de la même façon énergique qu’il régla le problème. Lorsque les policiers arrivèrent sur les lieux, ils ne purent que constater que le malheureux puritain terminait de compter les chandelles lui tournant autour de la tête.
Dans les années cinquante, tout Thumeries appartenait à la famille Béghin. Quatre vingt dix pour cent des maisons étaient la propriété de l’entreprise qui exerçait un véritable paternalisme. Le film « les grandes familles» de Denys de La Patellière avec Jean Gabin sorti en 1958 évoquait l’histoire de Thumeries et de sa sucrerie. Un représentant de la direction Beghin est venu discrètement faire comprendre à l’exploitant du Foyer qu’il n’était pas souhaitable que le film soit programmé. Ironie du sort, la famille avait des liens directs avec le cinéma puisque Mme Malle-Beghin était la maman du grand réalisateur Louis Malle. Elle avait entendu dire que le cinéma baissait et elle était alors venue voir le responsable, M. Carpentier, pour savoir s’il allait faire le voyage de fin d’année qui était payé avec les excédents du cinéma. Celui-ci croyait bien faire en évoquant un film de son fils qui marchait très fort à l’époque. Elle lui répondit directement : « Ne me parlez pas de ce perverti !! ».
Le distributeur du film « les Dix Commandements » contacta un jour le Foyer pour annoncer qu’il ressortait le film avec des copies neuves. La salle étant à l’origine une salle paroissiale, Fernand Carpentier se dit qu’il n’aurait pas de mal à convaincre les curés de la bonne influence de ce film sur le salut des âmes. Il contacta l’abbé Plate, celui de Wahagnies qui avait interpellé Fernand en lui reprochant de programmer des films pornos. Celui-ci lui répondit : « Vous comprenez, le Jésus hollywoodien ne m’intéresse pas trop ». Il accepta tout de même d’amener les enfants du catéchisme. Le jour de la projection il arriva avec deux enfants. « Il n’y a que deux enfants qui se sont inscrits » dit-il à Fernand. Celui-ci pas très heureux de la farce lui répondit du tac au tac « ah ! Vous vous étonnez que je passe des films pornos, alors que vous curé vous n’arrivez pas à faire venir les enfants à un film religieux ! ». Le brave curé se demandait quelle clientèle venait voir ce genre de films. Fernand lui proposa de venir voir. Quand il est venu, il eut la surprise de reconnaître quelques-uns uns de ses fidèles paroissiens !
L’AFFAIRE BRIGITTE BARDOT
En 1961 fut créée la Commission nationale de censure des affiches cinématographiques. Le premier jugement qu’eut à rendre cette commission se fit le 1er mars de cette même année et concernait le film « La bride sur le cou » avec Brigitte Bardot. Ce film devait être le premier long métrage de Jean Aurel. Un conflit entre le réalisateur et l’actrice, fit que ce fut Roger Vadim qui prit la relève au pied levé.
L’affiche du film qui représentait BB en bikini avait choqué les associations familiales du département du Nord. Une plainte fut déposée et M de Quental, exploitant le Palace à Cambrai, fut convoqué au Tribunal de police pour avoir placardé cette affiche, le rendant ainsi coupable « d’outrages à la décence ». Le fait qu’une commission composée de fonctionnaires de la Justice et de l’Education nationale, de prêtres et même de représentants des associations plaignantes n’empêcha pas le juge, M. Faugeroux de condamné l’exploitant à une amende de 200 francs à partir d’un jugement comprenant quatorze pages d’attendus. En voici quelques extraits :
- Attendu que l’affiche incriminée est un agrandissement photographique de l’actrice Brigitte Bardot, debout dans la positions hanchée de la « Source » d’Inges,
entièrement dévêtue, à l’exception d’un mince cache sexe, les mains croisées sur la poitrine dans le geste d’une nymphe surprise.
- Attendu que le visage de l’actrice n’exprime toutefois pas la confusion mais sous deux yeux effrontés, une moue qui pour être enfantine ne laisse pas d’être
équivoque…,
- Attendu encore qu’à l’exception du côté droit, où la trame plus serrée du cliché accuse les contours extérieurs et le déhanchement suggestif, le corps est traité en très légère
demi-teinte, le cache-sexe qui dissimule la région pubienne se distingue à peine du ventre délicatement modelé sur lequel l’ombilic se distingue avec la précision d’une planche anatomique et le
fini d’un bijou,
- Attendu qu’une femme dévêtue sur la plage ou dans une piscine n’est pas indécente, mais que, si elle se promène dans la rue dans la même tenue, elle est indécente. Or l’affiche
a été apposée dans la rue et par suite, il suffit d’imaginer qu’à sa place il y a le personnage réel…
Le juge justifia ainsi sa condamnation :
Attendu que l’octroi de ce visa constitue, en toute hypothèse, une autorisation administrative et non la permission de la loi… et qu’une jurisprudence constante administrative n’efface pas le caractère délictueux d’un acte… La preuve en est que certains films qui avaient obtenu le visa de la commission de contrôle ont tout de même été interdits par plusieurs municipalités…
Cette affaire bénéficia des échos de la presse qui porta en dérision les excès de pudeur des acteurs de ce drame, notamment « La voix du Nord », « Nord Matin », « France Soir », « Paris Presse », « Le canard enchaîné » etc. Les chansonniers du « Grenier de Montmartre » n’ont pas manqué d’ironiser sur le sujet. Quelques feuilles de choux ont apporté leur soutien à la répression. Malgré des pressions exercées sur M. de Quental, celui-ci décida de faire appel.
La cour d’appel de Douai annula le jugement du tribunal de Cambrai.
Elle fit valoir qu’il y avait un visa de censure pour cette affiche et que de ce fait, M. De Quental ne pouvait être sanctionné pour ce que permettait la loi. Cette commission était composée de membres qualifiés, nommés par le ministère et par des représentants des associations familiales. Et enfin, ce qui n’était pas indécent dans les autres villes du pays, ne pouvait l’être à Cambrai.
Cette affaire embarrassa sérieusement les membres de la nouvelle commission de Censure des affiches cinématographiques. M Touzery, vice président de cette commission, fit le commentaire suivant : « Nous avions, en effet, accordé le visa à cette affiche. Il portait même le numéro un, car c’était le premier jugement qu’eût à rendre, le 1er mars 1961, notre commission qui venait d’être créée ». Celle-ci comprenait 23 membres choisis parmi des fonctionnaires, des cinéastes, des prêtres et des représentants des associations familiales. L’association familiale de Paris avait déjà protesté, mais les choses n’étaient pas allées si loin. En fait, M Touzery se justifie ainsi : « De crainte d’être jugés ridicules, nous avons eu beaucoup d’indulgence et nous l’avons laissé passer. Il semble que le producteur de « La bride sur le cou » ait profité de cette indulgence. Il a fait inscrire dans un coin de l’affiche : Avec l’autorisation de la commission de contrôle des films cinématographiques, et dans un petit rond : ce visa porte le N°1, ce qui est de nature, je pense à aggraver les choses ».
Et si la législation avait été simplement un peu plus souple ? Le producteur n’aurait pas pu en profiter et n’aurait certainement pas réussi une aussi bonne promotion pour son film. Certains feraient bien d’y penser en 2008.